Grâce aux données issues de l’étude de la cohorte SELMA* et aux données de toxicologie expérimentale – les chercheurs ont pu évaluer l’impact de l’exposition à des mélanges de substances chimiques suspectées ou avérées de perturber le système endocrinien en début de grossesse sur la santé et le développement de l’enfant plus tard dans la vie.
La surreprésentation d’un mélange de huit produits chimiques dans le sang et l’urine des femmes enceintes de la cohorte SELMA a été corrélée avec un retard de langage chez les enfants à l’âge de 30 mois (moins de cinquante mots énoncés). Plusieurs des constituants de ce mélange étaient connus pour avoir des effets perturbateurs endocriniens (bisphénol A, composés chimiques perfluorés, certains phtalates, …).
Les scientifiques ont évalué la capacité à perturber la régulation médiée par les hormones, mais aussi des gènes impliqués dans le développement cérébral, ou associés avec un déficit cognitif. Cette étape a été menée notamment sur des organoïdes de cerveau humain (des cultures de cellules capables de s’organiser pour reproduire certaines fonctions des tissus de l’organe qu’ils représentent). Les chercheurs ont ainsi pu, pour la première fois, étudier directement les effets moléculaires de ce mélange de produits chimiques sur le tissu cérébral fœtal humain. Des modélisations informatiques ont permis d’identifier les voies hormonales majoritairement perturbées.
L’ensemble de ces travaux a permis de mettre en évidence qu’à des concentrations réalistes, le cocktail de produits étudié perturbe des réseaux de régulation sous influence hormonale dans les organoïdes de cerveau humain.
L’analyse des données épidémiologiques a montré que jusqu’à 54 % des enfants avaient subi des expositions prénatales supérieures aux niveaux considérés comme préoccupants (qui ont été déterminés expérimentalement). Les enfants situés dans le décile supérieur d’exposition présentaient un risque 3,3 fois plus élevé de retard de langage que ceux situés dans le décile inférieur (le retard de langage a été choisi comme critère, car il s’agit d’un marqueur précoce de déficit intellectuel).
La principale voie hormonale affectée est celle des hormones thyroïdiennes, sachant que des niveaux optimaux d’hormones thyroïdiennes maternelles sont nécessaires en début de grossesse pour la croissance et le développement du cerveau, il n’est pas surprenant qu’il y ait une association entre l’exposition prénatale à ces produits et un retard de langage.
Ces résultats alarmants montrent qu’il est urgent de changer d’approche pour l’évaluation des produits chimiques, et de prendre en considération « l’effet cocktail », car les effets des substances chimiques dans des mélanges complexes peuvent différer de leurs propriétés individuelles.
(*Etude menée à l’université de Karlstad, en Suède, qui suit 2 000 paires mères-enfants depuis le début de la grossesse, en passant par l’accouchement et jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge scolaire)
From cohorts to molecules: Adverse impacts of endocrine disrupting mixtures – Nicolo Caporale et al. – Science 18 Feb 2022 Vol 375, Issue 6582