Si on s’interroge sur l’interdépendance entre pratiques agronomiques et commercialisation en grandes et moyennes surfaces, prenons l’exemple de l’offre des supermarchés en pommes de terre dites « de conservation ». Vendues toute l’année en filets de 1 à 10 kilos, elles figurent parmi les productions nécessitant le plus de traitements phytosanitaires.
La patate, c’est la base !
Sur la base d’entretiens, les auteurs identifient d’abord les principales préoccupations des chefs de rayon. Ceux-ci sont d’abord soucieux d’avoir un rayon rempli, ce que garantit le passage par la centrale d’achats de l’enseigne. Les commandes de réassort sont quasi-quotidiennes, en fonction de l’état du stock. Les étals doivent présenter un panachage de variétés, de gammes et d’origines, avec une continuité tout au long de l’année. Pour les références locales, les magasins s’adressent parfois à des négociants grossistes ou directement à des producteurs. Enfin, un troisième critère d’approvisionnement concerne le produit lui-même : propreté, couleur, fermeté, absence de trous et de germes. Les pesticides ne font pas partie des éléments qu’ils prennent en compte : il faut suivre « la demande » et les produits issus de l’agriculture biologique restent marginaux.
Pour répondre aux trois attentes de quantité, de variété et de qualité, les grandes enseignes ont mis en place des « dispositifs de marché ». Tout d’abord, les centrales d’achat s’orientent vers des fournisseurs « d’une taille minimum », capables de fournir les quantités souhaitées. Elles se tournent également, plus ou moins directement, vers de grandes exploitations agricoles, qui ont tendance à réaliser des traitements phytosanitaires des cultures de façon systématique. Ensuite, les cahiers des charges imposent des variétés comme l’Amandine, la Charlotte, la Bintje et l’Agata, censées être bien identifiées par le consommateur, mais qui sont sensibles à plusieurs maladies, notamment le mildiou. Des variétés plus résistantes (Esperanto, etc.) nécessiteraient moins de traitements phytosanitaires mais elles sont écartées à cause du noircissement après cuisson. Enfin, lors de l’étape d’agréage, les critères esthétiques sont appliqués de façon draconienne : un fournisseur peut être déréférencé après trois refus de lots.
Selon les chercheurs, ces différents dispositifs marchands poussent à utiliser les pesticides, sans lesquels l’accès au circuit de commercialisation est impossible. Les traitements – qui ne sont pas détaillés dans l’article – permettent de stabiliser les relations commerciales et jouent un rôle de « régulateur du système », tandis que les réflexions sur les alternatives demeurent limitées au sein des filières.
Et voilà le résultat quand tu veux que des patates étalons !!
Article de J. Pahun (Inrae) et L. Mazenc (université de Toulouse) publié en mai 2025 dans Économie rurale
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